Dans un contexte où Haïti fait face à une grave crise de sécurité sans précédent, des milliers d’Haïtiens fuient leur pays pour trouver refuge en République Dominicaine. Face à cette émigration massive, les autorités dominicaines redoublent de violence envers les hommes, les femmes et les enfants qui tentent de s’y installer ou de s’y faire soigner. D’où, les Haïtiens sont aux abois.
En effet, la lanière de corde du policier dominicain s’abat sur l’Haïtienne. Elle hurle, laisse tomber son baluchon, lance une injure en créole, puis se courbe. Le policier de la Direction générale de l’immigration (DGI) abat sa courroie une seconde fois. Il fulmine, le visage crispé. «Chienne!», assène-t-il, avant de se désintéresser de la jeune femme. Le garde-frontière se prépare à donner de nouveaux coups à d’autres Haïtiens. Les Dominicains rient de ces méchantes déculottées. Les volées pleuvent toute la journée. Avec force bâtons et matraques, les militaires repoussent le petit peuple haïtien venu de Ouanaminthe, la ville-frontière toute proche. Un enfant de 8 ans, cireur de son état, se faufile entre la barrière frontalière et les policiers, avant d’être repoussé. Un autre bambin, lui, réussit à entrer dans la ville dominicaine de Dajabon. Les «timouns» (enfants en créole) errent dans les rues de celle-ci.
Dans une lettre ouverte au gouvernement de Saint-Domingue, le clergé provincial s’alarme: «Les migrants sont soumis à des procédures violentes, humiliantes et non professionnelles, menées quotidiennement. Il y a des déportations d’enfants ayant des racines sociales en République dominicaine.» Les Jésuites déplorent que «les centres de détention ne respectent pas le minimum qui garantit la dignité humaine. Les migrants ne sont pas alimentés en eau. Enfants, femmes enceintes et mères allaitantes sont soumis à cette situation. Les employeurs (…) profitent de cette situation pour exploiter la main-d’œuvre».
Il en est ainsi de Bernard et de cinq autres Créoles de Ouanaminthe. Ils construisent une église pour l’association des églises dominicaines. « Les Dominicains sont bien contents de nous avoir pour les travaux de force. Aucun d’entre eux ne veut faire ce que nous faisons », confie Bernard. « Nous sommes bien payés, mais nous devons retourner à Ouanaminthe tous les jours, avant 17 heures Les Dominicains ne veulent pas nous donner de permis de travail permanent. Pourquoi ? » questionne l’ouvrier. Les militaires parcourent le bourg à moto matin et soir. C’est la chasse aux Haïtiens. S’il est relativement aisé pour eux d’entrer à Dajabon, en sortir est plus compliqué. Entre la ville-frontière et Santiago, deuxième municipalité du pays, située à 100 km, 11 check-points verrouillent le passage comme une ligne de front. Les militaires entrent dans les bus, vérifient les passeports de tous les passagers, lançant des blagues salaces aux jeunes Haïtiennes.
Saint-Domingue a déporté 171.000 Haïtiens en 2022. «Beaucoup de Dominicains pensent que nous ne sommes pas humains», racontent Bernard et ses amis. Un représentant de l’Office international des migrations à Dajabon, qui ne souhaite pas être identifié, déplore une situation compliquée pour des Haïtiens qui ne parviennent pas à se procurer les documents nécessaires pour un visa, dans un pays sans État. «Un passeport peut y coûter 500 dollars. Leurs demandes, incomplètes, sont presque systématiquement refusées», dit-il. Il égrène la liste des organisations onusiennes présentes à Dajabon: le Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR), l’organisme des Nations unies pour le développement (PNUD), l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), qui ont des portes parfois fermées au moyen de digicodes, sont déconnectées de la réalité des migrants. Saint-Domingue, pour sa part, se défend de toute discrimination. «Viens retirer ton permis de résidence permanente», invite en créole un prospectus des services d’immigration. Mais selon le service de santé publique de République dominicaine, 12,5% des naissances dans les hôpitaux dominicains étaient le fait de mères haïtiennes en 2018, avant de passer à 27,2% en 2020 et à 33,1% en 2022. Intenable pour un pays pauvre, dont le système de santé est déjà sous-développé.