L’Etat haïtien recule chaque jour un peu plus. Il recule face à l’insécurité, s’éloigne de ses missions fondamentales et se replie sur les zones qu’il peut encore atteindre. Face à la montée fulgurante des bandes armées, les autorités ne semblent plus vouloir reconquérir les territoires perdus. Elles s’adaptent. Elles déménagent leurs bureaux, changent d’adresse, ajustent leurs opérations. Mais elles ne se battent plus.
La dernière décision en date en est la preuve éclatante : l’antenne de la Direction Générale des Impôts (DGI) de Delmas 19, ancien point d’ancrage de l’autorité publique, a été relocalisée dans les locaux de la mairie de Delmas. Présentée comme une simple réorganisation logistique, cette délocalisation est en réalité un aveu déguisé. Un aveu brutal : l’État n’a plus les moyens d’exercer sa souveraineté sur Delmas 19.
Et pourtant, rien n’est dit. Aucun cri d’alarme, aucune mobilisation, aucune volonté affichée de reconquérir la zone. C’est cette absence de réaction qui est la plus inquiétante. En acceptant tranquillement que des quartiers entiers tombent sous le contrôle de groupes armés, l’Etat envoie un message dangereux : il n’y a plus de territoire inaliénable. Il n’y a plus de lignes rouges. Les criminels peuvent conquérir, l’État s’adaptera.
Mais cette adaptation n’est pas neutre. Elle a un coût immense. Elle normalise l’anormal. Elle transforme la violence en règle du jeu. Elle habitue les citoyens à une administration en exil dans son propre pays. Elle transforme le paiement de l’impôt, acte fondateur du contrat social, en symbole de fuite devant l’autorité.
La République ne peut pas fonctionner ainsi. Un État qui se contente de déplacer ses services pour éviter les zones contrôlées par les gangs est un État qui a déjà perdu une partie de sa mission. L’administration publique ne peut survivre durablement sur un échiquier où elle recule systématiquement à chaque prise de pouvoir criminelle.
Il ne s’agit pas d’une erreur ponctuelle, mais d’un choix systémique. Et ce choix doit être dénoncé avec force. En tolérant cette fuite en avant, c’est tout un modèle de société que nous abandonnons. Un modèle fondé sur l’ordre, la sécurité, la justice et la présence de l’État aux quatre coins du territoire national.
Accepter la fuite de l’État, c’est accepter la fin de la République telle que nous la connaissons. C’est reconnaître que les gangs dictent désormais les contours du gouvernement. C’est légitimer la violence comme mode de gouvernance. C’est trahir l’idéal même de la souveraineté populaire.
Il est encore temps d’agir. Mais pour cela, il faut rompre le silence, sortir des habitudes et refuser d’accepter l’insoutenable évidence d’un État qui ne peut plus faire face.