Le décret référendaire publié le 16 avril 2025 (spécial #25-B) marque un tournant dans l’organisation du système judiciaire haïtien. Il institue deux nouveaux Pôles Judiciaires Spécialisés : l’un dédié à la répression des crimes et délits financiers complexes, l’autre aux crimes de masse et aux violences sexuelles. Cette initiative, qui s’inscrit dans le cadre de la modernisation de la justice pénale, vise à répondre à l’ampleur et à la gravité croissantes de ces types d’infractions dans un contexte d’insécurité généralisée.
Des juridictions spécialisées pour des infractions spécifiques
Le premier pôle sera chargé de la poursuite, de l’instruction et du jugement des infractions financières complexes – notamment la corruption, le blanchiment d’argent, le détournement de fonds publics et les infractions fiscales et douanières. Le second pôle s’occupera des affaires de violences sexuelles, d’enlèvements massifs, de génocide et d’actes terroristes perpétrés par des groupes armés.
Les deux pôles seront situés au tribunal de première instance de Port-au-Prince, avec une compétence sur l’ensemble du ressort. Une chambre d’appel spécialisée pour chaque section, composée de sept juges, sera également créée à la Cour d’appel de Port-au-Prince.
Une nouvelle architecture judiciaire
La composition de ces juridictions se veut rigoureuse : juges d’instruction, juges du siège, substituts des commissaires du gouvernement et chambres d’appel spécialisées. Les magistrats seront choisis selon des critères stricts : intégrité, indépendance, compétence et impartialité, sous la supervision du CSPJ et du ministère de la Justice.
Pour garantir l’efficacité de ces chambres, le décret prévoit la possibilité d’une coopération internationale, l’utilisation de commissions rogatoires et le transfert rapide (dans les 24 heures) des dossiers pertinents aux magistrats spécialisés.
Défis procéduraux à venir
Bien que l’objectif soit ambitieux, un certain nombre de défis restent à relever. Le système judiciaire haïtien, souvent considéré comme archaïque, devra s’adapter à la complexité des infractions. Une procédure spéciale devra être définie, notamment en cas de récusation des juges ou d’enquêtes prolongées. Par ailleurs, le fait que la compétence soit limitée à Port-au-Prince pourrait nuire à l’efficacité des enquêtes menées à l’échelle nationale.
Vers une justice plus spécialisée et plus crédible
Pour garantir la crédibilité et l’impact des nouveaux pôles, un certain nombre de recommandations ont été formulées : une formation spécialisée pour les magistrats, une compétence territoriale étendue, un mandat fixe pour les commissaires du gouvernement et un processus d’habilitation rigoureux pour éviter toute infiltration de la corruption.
En créant ces deux pôles judiciaires spécialisés, les autorités haïtiennes expriment leur volonté de rompre avec l’impunité et de rendre justice à des milliers de victimes, notamment les plus vulnérables. Il appartient maintenant aux institutions de garantir leur mise en œuvre effective et leur indépendance.