Le 31 octobre 2024, le ministère public a annoncé l’interdiction du partage et de la publication de vidéos et d’images criminelles en Haïti, assortie de sanctions pour les contrevenants. Cette décision s’inscrit dans une démarche de protection de l’ordre public et de la sensibilité collective. Cependant, bien qu’elle témoigne d’une prise de conscience des conséquences de ces images, je reste convaincu que cette mesure est loin d’être suffisante.
Le principal problème réside dans le fait que cette interdiction ne semble pas réalisable dans un contexte où les institutions n’ont pas les moyens de la faire respecter. Dans un pays où les réseaux sociaux et les médias numériques jouent un rôle prépondérant, une interdiction en soi pourrait s’avérer inefficace si elle n’est pas accompagnée d’une sensibilisation plus large. Une interdiction n’est qu’un pansement temporaire sur une blessure beaucoup plus profonde. En réalité, les vidéos de violence et de crime continuent de circuler librement et les autorités n’ont pas les moyens de contrôler ces flux.
Au lieu de recourir à une interdiction qui peut être facilement contournée, il serait plus constructif que l’État lance une campagne de sensibilisation. Celle-ci pourrait s’adresser directement aux influenceurs, aux journalistes et à tous ceux qui sont actifs sur les réseaux sociaux, afin de leur faire comprendre l’impact psychologique et émotionnel de ces images sur la population. Ce type de contenu ne traumatise pas seulement les Haïtiens vivant en Haïti, mais affecte également la diaspora, pour qui chaque image d’horreur projetée alimente un sentiment d’impuissance et de peur pour leurs proches.
De plus, la diffusion de ces images contribue à donner une image internationale négative du pays, renforçant les stéréotypes et décourageant toute forme de soutien extérieur, qu’il s’agisse de tourisme ou d’investissement. Sensibiliser les citoyens aux conséquences de ces publications serait donc un premier pas, non pas pour les museler, mais pour les guider vers une utilisation plus responsable des réseaux sociaux.
Mais au-delà de la sensibilisation, il est impératif que l’État mette en œuvre des mesures concrètes pour assurer la sécurité de la population. Si ces images continuent de circuler, c’est aussi parce qu’elles font écho à une réalité omniprésente. La violence en Haïti est un problème systémique, et si rien n’est fait pour le résoudre, les interdictions resteront vaines. La population désespérée utilise ces vidéos comme un moyen de signaler l’insécurité qu’elle vit au quotidien. Ce besoin de visibilité révèle un manque de confiance dans les institutions, et l’interdiction des vidéos ne la rétablira pas.
En définitive, l’interdiction des vidéos criminelles peut, à première vue, sembler une initiative responsable, mais il s’agit d’une réponse superficielle à un problème profondément enraciné. Pour que les choses changent vraiment, l’État doit investir dans des campagnes de sensibilisation, renforcer les services de sécurité publique et instaurer un climat de confiance au sein de la population. Sinon, l’interdiction restera lettre morte et les traumatismes continueront à hanter la société haïtienne.