Dans un pays où l’Etat de droit peine déjà à s’établir, la justice haïtienne est encore plus fragilisée par les choix précipités et mal préparés des autorités. Le transfert du palais de justice de Port-au-Prince à Delmas, présenté comme une mesure temporaire, s’est transformé en un scandale structurel. Installé à la hâte dans un bâtiment qui n’a jamais été conçu pour abriter une institution aussi essentielle, ce transfert met à nu l’irresponsabilité administrative et le mépris évident pour le pouvoir judiciaire.
Les preuves sont accablantes. Dans ces nouveaux locaux exigus, sans climatisation, les professionnels de la justice peinent à travailler dans des conditions acceptables. Bureaux trop petits, mobilier quasi inexistant, absence de classeurs pour ranger les dossiers, peu ou pas de chaises pour accueillir les clients : tout manque. Jusqu’au bureau symbolique du doyen du Tribunal de première instance, Me Bernard Saint-Vil, réduit à un ventilateur solitaire et à des documents entassés dans une boîte en carton posée à même le sol.
Ce décor austère n’est pas anecdotique. Il est le reflet d’une profonde crise de gouvernance. La justice, censée être le pilier de la démocratie et le rempart contre l’arbitraire, se voit traitée comme une simple formalité administrative. Les avocats, eux-mêmes en première ligne de cette réalité dégradante, n’ont pas manqué de dénoncer l’État dans lequel ils doivent désormais travailler. Leur colère est légitime : comment attendre de la justice qu’elle soit efficace, crédible et impartiale, alors que l’environnement matériel dans lequel elle évolue frise l’indécence ?
Au-delà des murs délabrés, c’est toute la symbolique de l’État qui est en jeu. Un pouvoir judiciaire humilié, c’est un pays affaibli. Une justice reléguée dans un espace mal équipé envoie un message clair à la population : les droits fondamentaux ne sont pas une priorité. C’est aussi une invitation implicite à la méfiance, au désespoir, voire à l’autodéfense, lorsque l’institution censée régler les litiges n’a même pas les moyens de fonctionner.
L’urgence est donc évidente. Ce transfert improvisé, au lieu de répondre à une contrainte logistique, aggrave une situation déjà critique. Les autorités doivent rectifier le tir, et vite. Il ne s’agit pas seulement de trouver des locaux plus adaptés, mais de restaurer la dignité de la justice haïtienne. La confiance des citoyens dans le système judiciaire passe aussi par le respect du cadre dans lequel il fonctionne.
La justice ne peut être rendue ni dans la précipitation, ni dans la misère. Si l’État veut être pris au sérieux, il doit commencer par respecter ses propres institutions.