Deux siècles se sont écoulés depuis que la République d’Haïti, première nation noire libre au monde, a brisé ses chaînes et proclamé son indépendance. Mais cette conquête historique a été rapidement ternie par une exigence scandaleuse : en 1825, sous la menace militaire, la France a imposé à Haïti une dette « d’indépendance » en échange de sa reconnaissance officielle. Une dette injuste et immorale qui a plongé notre jeune nation dans un cycle d’appauvrissement durable, hypothéquant son avenir économique et son développement social.
Aujourd’hui, pour la première fois, un président français, Emmanuel Macron, manifeste sa volonté de réparer cette faute historique. Il reconnaît l’injustice et se dit prêt à engager un processus de remboursement. Ce geste, s’il se concrétise, représenterait une avancée majeure dans la longue lutte pour la justice historique et la dignité du peuple haïtien. Il ne s’agit pas d’un simple transfert de fonds, mais d’un acte politique et moral fort, capable de restaurer un peu ce que l’histoire a brisé.
Cependant, ce moment ne doit pas être célébré naïvement. Car cette annonce intervient à un moment critique de notre histoire. Haïti est aujourd’hui plongée dans une crise politique profonde, dirigée pour l’essentiel par des personnalités largement discréditées, accusées de corruption, d’incompétence et d’indifférence à la misère du peuple. Comment garantir que le remboursement de cette dette ne sera pas détourné, mal utilisé ou récupéré à des fins politiques par un pouvoir illégitime ?
C’est là que réside le nœud du problème. Le remboursement de la dette de l’indépendance ne pourra produire de réels bénéfices pour le pays que si Haïti retrouve une stabilité politique fondée sur la légitimité populaire, l’intégrité de ses institutions et un leadership digne de l’héritage dessalinien. Dans le cas contraire, ce geste risque de perdre sa signification et de devenir un simple outil de communication diplomatique, ou un soutien voilé à des gouvernements sans vision ni légitimité.
Ce que nous demandons, ce que nous attendons, ce que nous exigeons, c’est que cette réparation historique soit faite avec et pour le peuple haïtien. Qu’elle ne soit pas confiée à des dirigeants qui ne représentent qu’eux-mêmes, mais qu’elle serve réellement à reconstruire un pays digne, juste et prospère. Ce n’est qu’à cette condition que le geste du président Macron entrera dans l’histoire, non pas comme un calcul politique, mais comme un acte de justice.
Deux siècles plus tard, il est temps pour la France de payer sa dette. Mais surtout, il est temps que ce paiement serve à faire revivre l’idéal dessalinien d’une Haïti souveraine et libre.