Port-au-Prince, autrefois cœur battant d’Haïti, se vide de ses institutions, tandis que l’insécurité gagne chaque rue, chaque quartier, chaque espace de vie. Face à cette réalité dramatique, l’Etat, au lieu d’assumer ses responsabilités, a choisi la fuite. Les autorités, censées garantir l’ordre et la sécurité, abandonnent progressivement la capitale, laissant la population seule face à la barbarie des bandes armées.
Le dernier symbole de cet exode institutionnel s’est produit ce lundi avec le déménagement du tribunal de première instance au Puits Blain. Ce déménagement, célébré en grande pompe par les autorités, est une nouvelle preuve de leur impuissance. Ce même tribunal, rappelons-le, avait déjà été contraint de déménager du Bicentenaire à Lalue en 2022, suite à des attaques armées. Aujourd’hui, il doit à nouveau déménager, non pas pour améliorer les services judiciaires, mais simplement pour échapper à la violence omniprésente. Une justice qui rejette les criminels, un Etat qui recule devant les gangs, telle est l’image d’Haïti aujourd’hui.
Mais il n’y a pas que les tribunaux qui reculent. Depuis plusieurs années, l’État se désagrège, se fragmente et se retire progressivement du centre-ville de Port-au-Prince. Le Palais national, la Primature, les ministères de l’Intérieur, de la Défense, de la Culture et de la Communication ne sont plus qu’un souvenir dans cette partie de la capitale, autrefois centre de décision du pays. En se dispersant dans la zone métropolitaine, l’administration publique a laissé derrière elle un territoire livré à la loi des gangs, une ville fantôme où règnent la peur et l’anarchie.
Cette stratégie, si l’on peut encore parler de stratégie, consacre la faillite totale de l’État. Au lieu de restaurer son autorité, il préfère contourner le problème. Au lieu d’affronter les gangs, il leur cède le terrain. Au lieu d’assurer la sécurité de ses citoyens, il protège ses bureaux, ses fonctionnaires et ses propres intérêts. Cette attitude envoie un message alarmant : l’Etat haïtien est incapable de remplir ses fonctions régaliennes, et il l’admet publiquement en délocalisant ses institutions.
Que doit donc penser la population ? Cette masse de citoyens qui, chaque jour, lutte pour sa survie dans une ville où les balles perdues sont devenues une fatalité, où les enlèvements sont une menace quotidienne, où l’accès aux services publics est devenu un parcours du combattant ? En abandonnant Port-au-Prince, l’Etat abandonne son peuple. Il envoie un message clair : sa sécurité, son bien-être et sa dignité ne sont pas une priorité.
Cette démission est inacceptable. Un gouvernement qui se dérobe à ses responsabilités perd toute légitimité. Il ne peut pas se contenter de se retirer dans des zones plus sûres en espérant que la tempête passera. Car elle ne passera pas. Au contraire, elle s’intensifiera et, tôt ou tard, elle frappera même ceux qui, aujourd’hui, pensent pouvoir s’en tirer à bon compte. L’histoire l’a prouvé à maintes reprises : un pouvoir qui cède à la violence finit toujours par en être la prochaine victime.
L’État haïtien ne peut plus se contenter d’assister à sa propre débâcle. Il doit reprendre le contrôle, rétablir l’ordre et redonner à Port-au-Prince son statut de capitale politique et administrative. La délocalisation des institutions n’est qu’un masque temporaire pour un problème qui ne cessera de s’aggraver tant qu’on ne s’y attaquera pas avec détermination. Il est temps de cesser de fuir et d’agir, avant qu’il ne soit définitivement trop tard.