Depuis quelque temps, de nombreuses voix s’élèvent pour comparer la situation d’Haïti à celle de pays en guerre qui, malgré le chaos, parviennent à organiser des élections. Certains analystes et observateurs établissent des comparaisons hasardeuses entre la situation actuelle d’Haïti et celle de pays en guerre comme la Libye, l’Afghanistan ou le Pakistan. Pourtant, ces comparaisons sont souvent fantasmées, car elles occultent une réalité implacable : des élections précipitées dans un climat de crise débouchent généralement sur plus d’instabilité, plus de chaos , plus de divisions et plus de contestations.
Ce que ces comparaisons oublient, c’est que chaque pays possède ses propres réalités culturelles, historiques et institutionnelles. La crise haïtienne ne peut être calquée sur d’autres expériences sans prendre en compte les spécificités locales.
Comment organiser des élections credibles et inclusives dans un pays en crise ?
L’État est affaibli, sans contrôle effectif sur le territoire ni moyens d’imposer l’ordre ; L’organisation d’élections crédibles et inclusives repose sur des conditions minimales de sécurité, de stabilité et de participation citoyenne. Or, la réalité haïtienne est tout autre :
Un pays sous l’emprise de l’insécurité : Des pans entiers du territoire national sont sous le contrôle de groupes armés, rendant tout déploiement électoral difficile, voire impossible. L’insécurité règne, avec des gangs qui contrôlent de vastes portions du territoire
Comment garantir la sécurité des électeurs, des candidats et des membres des bureaux de vote ?
Des milliers de déplacés internes et externes : Des milliers de citoyens sont déplacés à l’intérieur et à l’extérieur du pays, privés de stabilité et de repères. L’insécurité et la crise économique ont contraint des milliers d’Haïtiens à fuir leur domicile. Comment garantir leur droit de vote alors qu’ils ne sont plus dans leurs circonscriptions d’origine ?
Une vulnérabilité et une oppression croissantes : L’oppression et la vulnérabilité sociale empêchent la libre participation citoyenne. La population, frappée par la pauvreté et la désillusion, risque d’être instrumentalisée par des forces politiques cherchant à imposer leur agenda, au détriment d’un véritable processus démocratique.
Un processus électoral précipité : Une bombe à retardement
L’organisation d’élections nécessite un cadre structuré et un État capable d’en garantir la transparence, la sécurité et la crédibilité. Lancer un processus électoral dans un tel contexte ne fera qu’ajouter une couche supplémentaire à la crise haïtienne.Loin d’apporter une solution, des élections mal préparées et mal encadrées risquent de :
Aggraver l’instabilité politique et sociale ;
Accentuer les divisions au sein de la classe politique et de la société ;
Accoucher d’élus contestés, donc sans légitimité populaire, conduisant à une gouvernance fragile et inefficace.
Or, les conditions actuelles ne permettent pas d’assurer ces prérequis :
1. Un État faible : quel taux de participation ?
Quand les institutions sont défaillantes et que les citoyens n’ont plus confiance dans le système, le risque d’une participation électorale très faible est réel. Des élections massivement boudées perdront toute légitimité et pourraient être contestées dès leur annonce des résultats.
2. Un manque de préparation technique et logistique
La mise en place d’un processus électoral crédible requiert du temps et des ressources :
Création et formation des structures électorales ;
Recensement et mise à jour du registre des électeurs ;
Sécurisation des bureaux de vote et du matériel électoral ;
Déploiement de l’administration électorale sur tout le territoire.Le gouvernement a-t-il réellement les moyens de lancer cette machine dans le contexte actuel ?
3. Des territoires hors de contrôle : un défi opérationnel
Avec des zones sous la coupe de groupes armés, comment garantir un scrutin libre et sécurisé ? Si certaines régions sont privées d’élections, cela ne fera qu’accroître la crise de légitimité des futurs élus.
4. Des risques accrus d’instabilité et de contestation
Plus d’instabilité politique, car des élections bâclées risquent d’aggraver les tensions.
Plus de divisions, car les différents camps politiques ne s’entendent même pas sur les préalables nécessaires au processus.
Plus de fractures sociales, car une partie de la population ne se sentira pas représentée dans ces élections précipitées.
Élections oui, mais pas à n’importe quel prix
Certes, Haïti doit impérativement retrouver la voie de la légalité et de la légitimité après plus de dix ans sans véritables élus à la tête du pays. Mais cela ne doit pas se faire au prix d’un processus bâclé qui ajouterait une dose supplémentaire de chaos à une situation déjà intenable. Les transitions interminables et sans vision doivent cesser.
Mais improviser des élections dans un contexte aussi chaotique, sans planification rigoureuse, revient à mettre une charge explosive sous le siège du prochain gouvernement.
Les élections doivent être un moyen de sortie de crise, pas un élément aggravant. Avant de parler de date, il est impératif de parler de conditions. Un processus mal planifié ne fera que perpétuer le cercle vicieux des transitions interminables et des crises institutionnelles. Les élections doivent être un moyen de sortie de crise, pas un accélérateur de crise. Sans sécurité, sans réformes institutionnelles et sans confiance citoyenne, elles ne seront qu’une mascarade. Haïti mérite mieux que des scrutins précipités qui risquent de produire des élus contestés, issus d’élections contestées.
L’heure n’est pas aux décisions précipitées, mais à une planification rigoureuse et à une concertation nationale pour assurer des élections crédibles, sécurisées et réellement démocratiques. Faute de quoi, Haïti risque de s’enfoncer davantage dans l’incertitude et le désordre.
Patrick Alexis
Citoyen Engagé
Moun9
alexispat@gmail.com
1er Février 2025